Entrevue: 1ère Partie
Parfois on rencontre quelqu’un pour une entrevue et celle-ci devient tellement fluide et naturelle qu’elle se transforme en discussion entre amis et 2 heures plus tard on réalise qu’on va avoir du contenu pour deux articles … C’est exactement ce qui m’est arrivé avec Chef Cyril D’Ascanio!
Mardi matin, 10h30
Je suis au Estrimont Suites et Spa, magnifique hôtel situé au pied du Mont Orford. Je m’extasie devant l’impressionnant cellier de La Pierre de Feu (qui a depuis peu changé de nom pour Avenue 44, Adresse Gourmande) à m’inspirer pour mes prochains achats lorsque j’entend derrière moi « Patrick! ». Je me retourne et je vois Chef D’Ascanio qui avance vers moi d’un pas décidé. Je lui retourne la pareille « Chef D’Ascanio! » que je lui lance! On jase un moment et on convient d’aller dans une petite salle pour l’entrevue. En cours de route, il m’interdit formellement de le vouvoyer. Mon père m’a toujours dis de ne pas tutoyer les gens alors ça m’a prit quelques essais mais j’y suis arrivé.
La discussion qui allait suivre allait s’échelonner sur presque deux heures et si ça n’avait pas été des obligations professionnelles de Chef D’Ascanio, nous serions probablement encore entrain de jaser à l’heure qu’il est. Voici les faits saillants de cette entrevue qui s’est déroulée dans un cadre détendu et amical:
Tu fais partie des Créateurs de Saveurs des Cantons-de-L’Est?
Oui! Je me fais un devoir puis je me fais un plaisir de pouvoir faire découvrir les produits de producteurs locaux. J’ai travaillé pour beaucoup d’entre eux et avec eux aussi alors ça tombe sous le sens de servir des produits qui sont d’ici pas d’aller les chercher ailleurs. Donne moi un produit d’exception et je le fais briller. Quand un produit est déjà parfait, pas besoin de le dénaturer. Je vais l’accompagner mais je vais le laisser dans son entièreté. L’idée est de promouvoir le produit et de le mettre en valeur. Tu sais les gens qui descendent en Estrie veulent manger des produits d’ici. C’est pas plus compliqué que ça!
Ensuite un a parlé un moment des nombreux produits disponibles à proximité ce à quoi Chef D’Ascanio a ajouté:
Ce sont tous des amis, ce sont tous des gens qui ont tous la même mentalité celle de promouvoir la région.

Tu as obtenu un diplôme d’études professionnelles (DEP) en cuisine d’établissement à l’école hôtelière de Laval de même qu’un attestation de spécialisation professionnelle (ASP) en cuisine du marché, cuisine du terroir et cuisine gastronomique et ensuite, un bond de quatre ans ou tu deviens sous-chef chez Estrimont Suites & Spa?
Non. J’ai toujours travaillé en restauration. Même à un certain moment j’ai eue ma propre rôtisserie à Stanstead. Après l’obtention de mon diplôme en 2011, j’ai travaillé pour différents hôtels (notamment le Chanteclerc et le Sheraton à Laval) et en 2014, j’ai obtenu un poste de sous-chef au Estrimont avant de devenir chef exécutif 8 mois plus tard.
J’ai essayé la restauration mais j’ai découvert que ce n’est pas mon truc. J’aime avoir une équipe. Travailler en cohésion avec eux.
Mais mes recherches ne m’ont pas permises de trouver grand chose à ton sujet …
J’ai toujours été « low profile » dans le sens ou moi je ne cherche qu’à servir mon client. J’ai un établissement qui fonctionne bien et ma clientèle est déjà sur place. Après c’est sûr que j’ai fais un peu de télé ou des chroniques …
En 2016 vous avez fait Entre Ciel et Terre*?
Oui! Tu vois ça je préfère m’illustrer par ce genre d’événements là. On a servi 400 personnes en trois jours avec des produits locaux, tous des fournisseurs … des amis en fait et tout ça dans le but de promouvoir ma région. Moi mon but en tant que chef c’est de mettre de l’avant le produit qu’on m’offre. Je reviens souvent là dessus parce que c’est vraiment une histoire d’amour que j’ai avec les produits locaux.
*Entre Ciel et Terre était un événement qui permettait aux convives de déguster un excellent repas concocté à partir d’ingrédients locaux et le tout à plusieurs mètres d’altitude, suspendu dans les airs.
Tout en discutant avec Chef D’Ascanio, il a tenu à spécifier qu’il était toujours difficile de briser le mythe selon lequel il faut résider à l’hôtel pour venir manger au Avenue 44. Tout le monde peut réserver et venir manger pour le brunch du dimanche ou n’importe quel soir en fait. Il n’y a qu’à appeler et réserver ses places.

Ben je suis pas seul là!
Ce que je veux dire c’est que tu me sembles pas le genre à prendre une tasse à mesurer et des cuillères …
Non sinon je serais pas ici. Non en fait ça se passe en dedans. C’est du guts, c’est du coeur. C’est sûr que le poste de chef exécutif me demande une approche plus cartésienne. J’aime beaucoup cet aspect de mon poste. Je vois les commandes entrer et les factures aussi … Donc mon poste demande un côté très cartésien mais aussi très créateur. Minimiser les pertes et créer un menu qui le permettra aussi.
En tant que gestionnaire, je peux aussi avoir un contrôle sur mon équipe. Pas nécessairement à mon image parce que l’idée est pas de créer un copier/coller mais c’est de donner une ligne directrice et de laisser mes gens et mes artistes bâtir autour de ça. J’ai une relation bilatérale avec mon sous-chef et mes cuisiniers. Tu as une bonne idée? Alors comment on fait pour l’appliquer? Comment on fait pour que ça coûte pas trop cher? Comment on fait pour que ce soit intéressant? Et puis go fait le.
T’as envie de mettre un ananas mariné dans le rhum depuis 4 jours et flambé ben go! On va l’essayer avant mais je laisse mon équipe s’exprimer. C’est ça le métier. C’est comme ça que ça devrait se passer …
J’ai l’impression que certains chefs ont une attitude un peu dictatoriale du genre c’est MA cuisine …
Non! En fait l’objectif est non négociable mais la façon d’y arriver est très malléable dans le sens que j’ai pas la science infuse. J’ai des bonnes idées mais j’ai des gens qui en ont des bonnes aussi. J’ai des artistes dans cette cuisine et quand on exploite le potentiel des gens c’est très humain. La façon dont je le gère moi … je cris pas moi dans cette cuisine. Si j’ai besoin de crier c’est parce qu’il y a quelque chose qui marche pas.
Mais l’idée est de laisser les gens s’exprimer. C’est un métier de passion que j’exerce. C’est quoi ta vibe aujourd’hui? Et en écoutant mon équipe, on arrive à des résultats hallucinants!
Je pense qu’en laissant la place aux gens qui ont la vocation et qui veulent servir leurs clients … tu sais la plus belle gratification qu’on a c’est un client qui vient nous serrer la main pis qui nous dit « Merci c’était très bon! ». Tout le monde mange. C’est le besoin le plus primal de l’humain. Tout le monde est un peu chef aussi. Tout le monde cuisine alors si ton client demande à te rencontrer pour te remercier, c’est parce que tu fais une belle job.
Cette gratification là vaut les heures qu’on passe ici puis le temps qu’on investit à développer le menu.
J’ai lu que tu viens de Grasse dans les Alpes Maritimes, à quelques kilomètres de Cannes. Qu’est-ce qui caractérise la cuisine de cette région de la France? Je sais pas combien d’années tu as vécu là bas avant d’arriver au Québec …
En fait je suis arrivé au Québec j’avais 16 ans.
Et tu cuisinais déjà à ce moment là?
J’ai un papa qui est chef depuis, depuis … toujours. Il a prit sa retraite cette année. Je pense qu’il a essayé de me dissuader de devenir chef. Je pense que la plus grande déception de mon père et sa plus grande joie se sont passés en même temps quand je lui ai dis « Papa? Je pense que je vais lâcher ce que je fais et devenir chef. » Il a eu des larmes de joie et des larmes de peine. Il a dit « J’ai travaillé toute ma vie pour pas que tu fasses ça! ». J’ai grandi dans les cuisines. Mes parents étaient séparés et je passais mes vacances chez mon père et il avait pas le temps de s’occuper de moi comme il aurait voulu donc il m’installait sur une chaise et me disait de surveiller les cuisiniers donc j’avais 7-8 ans et je faisais des tagliatelles, je faisais de la vaisselle, faisais griller une entrecôte. Pour moi ça s’est fait naturellement … Je sais pas faire grand chose d’autre que ça donc …
Mais revenons à la question de base. Exemple. La poutine est au Québec ce que _____ est aux Alpes Maritimes?
Ce que la fougasse, ce que les galettes de pois chiches, les grillades … Les poissons grillés sur le bord de la plage, y’a rien de plus intéressant que ça.