(Je prend rarement un ton plus sérieux mais je crois que son histoire mérite d’être entendue)
Olivier est un chic type. Je l’ai connu par le biais d’un ami commun. Il travaillais dans la restauration jusqu’à tout récemment. Je parle au passé parce que Olivier fait partie des soldats qui sont tombés au combat. Quand je parle des soldats, je parle de ces hommes et ces femmes qui travaillent dans l’ombre de l’assiette que tu commandes quand tu vas au restaurant.
Ces gens là, font des heures de fou, ont peu (ou pas) de vie sociale, une vie de famille atypique et plus souvent qu’autrement, tombent dans de mauvais patterns juste pour te permettre de savourer ton Surf’n Turf du samedi soir à la brasserie ou au restaurant.
Je pourrais difficilement te parler plus de la vie dans une cuisine de restaurant puisque j’y ai travaillé que très peu et mon cœur m’a laissé savoir que c’était pas un milieu pour moi (crise d’angine à très jeune âge). Je ne dis pas que toutes les cuisines se ressemblent mais je sais qu’il existe un problème dans le milieu de la restauration et que ce problème doit être adressé.
Si tu as le bonheur de travailler dans une cuisine de restaurant saine où tu as la chance de t’épanouir en tant que cuisinier, tu as mis la main sur le jackpot. Garde ton emploi tant que tu vas aimer ce que tu fais!
J’aimerais quand même, aujourd’hui, t’offrir un texte que Olivier m’a fait parvenir pour me raconter brièvement ce qui se passe derrière le décor. Aujourd’hui, Oli à l’esprit cassé … cassé par ce milieu qui a pas été tendre avec lui. J’espère qu’en exposant son vécu, je pourrai changer, ne serait-ce qu’un tant soit peu les choses …
L’HISTOIRE D’OLIVIER
J’aimerais tout d’abord commencer en vous disant que ce que vous voyez de la restauration au cinéma et à la télévision n’est que le pâle reflet de la réalité. Dans ce billet, je ne vous raconterai pas l’histoire de tous les cuisiniers, mais simplement la mienne. Et pourtant, je suis sûr que beaucoup se retrouveront dans celle-ci.
J’ai commencé à travailler en restauration un peu par hasard, par facilité. Je venais de débuter ma première année de cégep et je devais trouver un emploi pour subvenir à mes besoins. Déjà à l’époque il était plus facile de se trouver un emploi comme serveur ou comme cuisinier que de réussir une pâtisserie sans recette. À ce moment-là, je n’étais même pas apte à faire cuire correctement une pizza surgelée ou à faire moi-même une vinaigrette, et encore moins ouvrir une bouteille de vin et la servir correctement. Mais j’avais des comptes à payer et je devais faire de l’argent. Je me suis facilement trouvé un travail dans un restaurant grec, où la spécialité était les pitas. Rien de bien compliqué. Mais je n’avais aucun talent culinaire et j’ai toujours été plus intellectuel que manuel! Sans blague, je crois que je n’ai même pas été en mesure de terminer la semaine. Déjà je m’étais coupé plusieurs fois et je n’arrivais pas à effectuer la caisse correctement. Pour moi, c’était terminé. Je n’avais aucun talent culinaire.
De retour sur le marché de l’emploi et toujours à l’école, un bon ami à moi me propose de venir passer une entrevue dans le restaurant où il vient de commencer comme cuisinier. Pour ma part, je n’ai aucune expérience valable en cuisine avec mes quatre jours au grec mais justement, il cherche un »busboy » pour combler leur équipe de service, et moi avec ma grande gueule, je suis le candidat idéal. J’applique et là journée même, on me rappelle et on m’offre l’emploi. Le reste des moments dans ce restaurant là n’est pas important outre qu’il me doive toujours entre 600 et 1000$ de paie. Mine de rien, j’y ai rencontré une des femmes de ma vie. Et ça aura duré presque huit ans après la fermeture du resto.
Cette femme, on l’appellera Katherine, un nom fictif choisi pour l’histoire évidemment. Katherine travaillait dans un autre restaurant de Magog en même temps que quelques heures dans le restaurant que je ne nommerai pas, mais où on s’est rencontré. J’ai fini par la suivre à l’Actuel Bar & Grill, un restaurant de Magog qui était situé juste en face du Mcdonald. Avec le recul aujourd’hui, je réalise que ça a probablement été la plus belle expérience en restauration que j’ai eue. Petit restaurant de trente places à l’intérieur et quelque chose comme 30 autres places sur la terrasse. Mais tout était fait maison et le chef propriétaire, avait accès à de superbes produits locaux grâce à la fermette de sa famille (aujourd’hui La ferme Potagère). Probablement la plus belle expérience en restauration de ma vie parce que le chef prenait le temps de nous enseigner comment bien travailler et cuisiner les produits. Et probablement un peu aussi parce que je n’avais pas d’expérience en cuisine et que tout ce que les gars faisaient me semblait pure magie!
La cuisine, à partir de la fermeture de ce restaurant, a révélé sa vraie nature pour moi: Les horaires de fou, consommation excessive, pression sadique, peu payant, peu valorisé, peu mis en valeur. Tu vis à l’envers du reste des gens et tu finis plus souvent qu’autrement par côtoyer des gens qui opèrent dans le même métier que toi. J’ai travaillé dans des restaurants pour pouvoir payer mon loyer, j’ai aussi travaillé dans des restaurants plus chic pour apprendre et grandir comme cuisinier. Mais le constat était le même partout. Certes, il y a quelques exceptions. Mais en général, une cuisine reste une cuisine. J’ai même vu des propriétaires nous offrir de la cocaïne quand on commençait à être fatigué. À force de faire 83 heures semaines, je me demande bien pourquoi.
La cuisine a toujours été une passion pour moi! J’ai toujours aimé faire à manger. À la longue, j’ai perdu l’envie de cuisiner et l’envie de bien manger à la maison. Ça se comprend me direz-vous. Quand tu travailles dans une cuisine professionnelle, on a beau travailler toute la journée dans la bouffe, je peux vous garantir qu’aucun cuisinier ne mange plus d’un repas et demi par jour. Et vous pensez bien que si nos restaurants sont ouverts de 16h à 22h par exemple, il y a de forte chance que l’on soupe vers 22h30 – 23h. Et sincèrement, après avoir fait des services de cent clients (et parfois plus), je peux vous garantir que ce que l’on se fait pour nous n’a rien de glorieux. Je sais que nous avons choisi de faire ce métier. Mais pensez-y, lorsque vous irez souper un 24 décembre au soir, le cuisinier qui vous fait à souper à peut-être une famille qui ne pourra pas aller voir et il vous aura permis de passer une agréable soirée tout de même.
Ma 4ième année en cuisine a été ponctuée de mon premier burnout. J’étais complètement épuisé mentalement et physiquement. J’ai été à l’arrêt pendant presque neuf mois. À trembler et avoir mal au cœur juste de penser à remettre les pieds dans un environnement comme ça. Et c’est à ce moment précis qu’un de mes bons amis, que je vais appeler Cyril pour l’histoire, m’a sauvé la vie. J’étais à la dérive, je ne savais plus trop ce que je voulais faire, ni comment même entreprendre quelque chose. J’étais rempli d’angoisses et de peurs. Il m’a fait venir travailler avec lui et ça a, au final, probablement été mes plus belles expériences dans une cuisine professionnelle. J’ai travaillé presque cinq ans dans cet hôtel où j’ai rencontré beaucoup de gens bien et aussi une autre des femmes de ma vie. Comme quoi j’ai aussi eu beaucoup de positif à travers tout ça.
Le déclic s’est fait là. Je n’étais plus heureux en cuisine, et ce depuis presque trois ans. Depuis que Cyril était parti travailler ailleurs et que la plupart de mes collègues du départ étaient aussi partis. Cette femme là, qu’on appellera Laurence pour l’histoire, me voyait bien aller chaque jour. Malheureux et n’aimant plus mon travail depuis des années déjà. Ne me sentant plus à l’aise dans ce que je faisais. Ne me sentant plus valorisé par le métier. Plusieurs fois nous en avons parlé. Et d’une certaine façon, c’est grâce à elle que j’ai pris conscience qu’il valait mieux être pauvre et heureux, que d’avoir le salaire, les assurances, la sécurité de l’emploi et d’être tout de même malheureux. En fait, je le savais déjà, mais c’est elle qui m’a fait faire le grand saut. Et après presque neuf ans, je peux dire que je ne regrette rien de ce parcours là. Il fait de moi qui je suis aujourd’hui et j’en suis fier.
Maintenant ça fait plus de huit mois que je n’ai pas travaillé en cuisine et le constat de mes acquis grâce à mes neufs années de cuisinier sont;
- La dépression;
- Les problèmes de consommation de drogue et d’alcool;
- La rancœur, la hargne et la colère;
- Trois burnouts;
- Très peu d’argent de côté pour mon âge;
- Le dégoût de me faire bien à manger (et ce même après huit mois);
- Aucune vie sentimentale stable.
Mais la cuisine m’a aussi fait rencontrer deux des trois femmes qui ont le plus influencées ma vie jusqu’à présent. Et ça, c’est quelque chose de positif. Et puis évidemment, je cuisine bien. C’est non négligeable!
Un jour, j’espère que les cuisiniers auront un Ordre qui les représentera et qui leur offrira de meilleures qualités de travail et une plus grande sécurité. C’est mon désir pour les cuisiniers qui continuent de nous faire manger, semaine après semaine.
Olivier L. La Haye
Si tu connais un « Oli », n’hésite pas à lui partager ce billet et si toi aussi tu es un Oli, je suis à la recherche de quelques cuisiniers qui voudraient me livrer leur histoire dans le cadre d’une édition spéciale de mon podcast, À Pleine Gueule!
L’enregistrement pourrait avoir lieu au cours du mois d’octobre 2021. Contacte moi via le formulaire de contact dans le menu en haut de la page.
Émouvant.
Merci et c’est malheureusement pas un cas isolé.